Lettre de Séverine Magois, traductrice de Daniel Keene

Yaël Bacry m’a fait part l’an passé de son désir de monter plusieurs pièces courtes de Daniel Keene, dont une inédite (Boy with no face) que l’auteur avait lui-même lue en anglais à l’occasion d’une rencontre-lecture organisée à la librairie le Coupe-Papier.
Son projet de mettre en résonance La Pluie, le Garçon sans visage (monologue que j’ai donc décidé de traduire pour elle) et Kaddish me semblait en soi intéressant dans la mesure où elle me disait vouloir ainsi parler, à travers le prisme de la mémoire (celle des survivants), de l’expérience de la catastrophe et de la mort, en partant de sa dimension la plus historiquement universelle ou collective (La Pluie) pour arriver à sa dimension la plus intime (Kaddish). Ces trois monologues devaient être montés l’un à la suite de l’autre (comme le sont en général les pièces courtes de Keene).
Au fil de son travail, Yaël Bacry a perçu la nécessité de faire s’entrecroiser ces textes, de les entremêler, d’en rompre ainsi la « linéarité » narrative (même si avec ces trois textes il s’agirait davantage de parler de « circularité » ou de « spirale » narrative, tant l’auteur pratique la répétition, le retour obsessionnel de la parole et du souvenir). Je craignais au départ qu’un tel montage égare inutilement le spectateur. Quand j’ai découvert le spectacle, donné pour la première fois en juillet dernier, j’ai été immédiatement frappée par la justesse des liens que ce découpage, plus ou moins syncopé, permettait de tisser entre les textes, par la façon dont les phrases et les mots se faisaient écho d’un monologue à l‘autre. Les textes semblaient ainsi à la fois se répondre et « se relayer » – comme s’ils se transmettaient devant nous le devoir de poursuivre… la nécessité de dire, tout simplement.

Séverine Magois, janvier 2004

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